mardi 2 septembre 2008

"Bel-Ami", Maupassant, I, II,(pp. 39 - 41 de l'édition de référence).

En littérature, la symbolique de la hiérarchie est aussi exploitée pour certaines scènes se déroulant dans un escalier.
Dans « Bel Ami » de Maupassant, le personnage principal est pauvre et au fil de ses conquêtes, il "grimpe" de classes sociales. Nous pouvons retrouver la métaphore de cette idée dans une scène précise du livre. Le héros, pauvre au départ, en bas des marches, se trouve de plus en plus élégant, et riche, au fur et à mesure qu'il gravit les étages:

« Et Georges Duroy monta l'escalier.
Il était un peu gêné, intimidé, mal à l'aise. Il portait un habit pour la première fois de sa vie, et l'ensemble de sa toilette l'inquiétait. Il la sentait défectueuse en tout, par les bottines non vernies mais assez fines cependant, car il avait la coquetterie du pied, par la chemise de quatre francs cinquante achetée le matin même au Louvre, et dont le plastron trop mince se cassait déjà. Ses autres chemises, celles de tous les jours, ayant des avaries plus ou moins graves, il n'avait pu utiliser même la moins abîmée.
Son pantalon, un peu trop large, dessinait mal la jambe, semblait s'enrouler autour du mollet, avait cette apparence fripée que prennent les vêtements d'occasion sur les membres qu'ils recouvrent par aventure. Seul, l'habit n'allait pas mal, s'étant trouvé à peu près juste pour la taille.
Il montait lentement les marches, le coeur battant, l'esprit anxieux, harcelé surtout par la crainte d'être ridicule ; et, soudain, il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient si près l'un de l'autre que Duroy fit un mouvement en arrière, puis il demeura stupéfait : c'était lui-même, reflété par une haute glace en pied qui formait sur le palier du premier une longue perspective de galerie. Un élan de joie le fit tressaillir, tant il se jugea mieux qu'il n'aurait cru.
N'ayant chez lui que son petit miroir à barbe, il n'avait pu se contempler entièrement, et comme il n'y voyait que fort mal les diverses parties de sa toilette improvisée, il s'exagérait les imperfections, s'affolait à l'idée d'être grotesque.
Mais voilà qu'en s'apercevant brusquement dans la glace, il ne s'était pas même reconnu ; il s'était pris pour un autre, pour un homme du monde, qu'il avait trouvé fort bien, fort chic, au premier coup d'oeil.
Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait que, vraiment, l'ensemble était satisfaisant.
Alors il s'étudia comme font les acteurs pour apprendre leurs rôles. Il se sourit, se tendit la main, fit des gestes, exprima des sentiments : l'étonnement, le plaisir, l'approbation ; et il chercha les degrés du sourire et les intentions de l'oeil pour se montrer galant auprès des dames, leur faire comprendre qu'on les admire et qu'on les désire.
Une porte s'ouvrit dans l'escalier. Il eut peur d'être surpris et il se mit à monter fort vite et avec la crainte d'avoir été vu, minaudant ainsi, par quelque invité de son ami.
En arrivant au second étage, il aperçut une autre glace et il ralentit sa marche pour se regarder passer. Sa tournure lui parut vraiment élégante. Il marchait bien. Et une confiance immodérée en lui-même emplit son âme. Certes, il réussirait avec cette figure-là et son désir d'arriver, et la résolution qu'il se connaissait et l'indépendance de son esprit. Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage. Il s'arrêta devant la troisième glace, frisa sa moustache d'un mouvement qui lui était familier, ôta son chapeau pour rajuster sa chevelure, et murmura à mi-voix, comme il faisait souvent : « Voilà une excellente invention. » »

1 commentaire:

Anonyme a dit…

votre lecture intelligente et sensible des escaliers est vraiment passionnante. Sur cette escalier/ascenseur emprunté par Bel Ami, ce qui me frappe en plus, c'est la relation entre le palier et le miroir, puis entre la porte et l'escalier, et enfin le palier de l'escalier en soi... j'aimerais vous lire encore, si ces symboliques à mon avis très complémentaires de l'escalier, vous parlent. et si vous avez publié un essai, merci d'afficher les références sur votre page d'acceuil. et encore merci pour ce regard extrêmement enrichissant que vous avez porté sur ce lieu du passage vertical. escalier égal peut être aussi "axe du monde". du monde (mondain) dans l'exemple de Bel Ami, comme vous le faîtes observer) et du monde (spirituel ou psychologique) du visible à l'invisible ? merci à l'avance de ce que ces autres escaliers vous inspireront peut- être.